C'est très curieux, ces gens qui vont se battre pendant une 15 aine d'années... conception particulière de l'honneur

Il ne faudrait pas tout mélanger. "Vendetta" et "duel", même s'ils touchent l'un et l'autre aux questions d'honneur, sont des choses très différentes. La "vendetta", c'est d'abord et avant tout une histoire de familles. C'est aussi un assassinat dans le cadre d'un guet-apens où on ne laisse pas la moindre chance à la victime de se défendre. La "vendetta", c'est en fait la survie de la justice privée.Joker a écrit :Qui a dit que la "vendetta" était une spécialité corse ou sarde ?
Pierre Serna dans Croiser le fer. Violence et culture de l'épée dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Champ Vallon, 2002, pp. 465-466.Pékins, militaires... tous ferrailleurs...
Dix ans plus tard [l'auteur vient de parler longuement du duel sous la Révolution], chacun a perdu ses illusions de voir la société française se construire dans l'harmonie, au sein d'une monarchie constitutionnelle. Tous savent, pareillement, que le rêve de voir une République s'édifier dans le respect de l'ordre public, dans l'acceptation de la contradiction politique, est renvoyé à un futur que nul ne peut imaginer proche. Les moeurs barbares de l'Ancien Régime ont laissé place à une Révolution fratricide. La Contre-Révolution, la Terreur, la guerre ont rendu impossible toute pacification du corps social. La discorde politique, la haine idéologique, bientôt la vie des camps, lorsque la France entre en guerre contre les monarchies européennes, et, plus tard, sous le Directoire, les liens distendus dans la société civile, puis la constitution d'une société militaire méprisant ostensiblement les civils, désormais surnommés les pékins, ont fini d'achever les espoirs d'enrayer les germes de guerre civile et de combat particulier. Tant de violence polymorphe, au contraire, a consolidé la pratique du duel, plus que jamais à l'ordre du jour, au moment où la France du Consulat commence à ressembler de plus en plus à une immense caserne.
Les témoignages des militaires et des civils fourmillent de récits de rencontres, sous les prétextes les plus légers. Les plus lucides d'entre eux sont désespérés à l'idée que les tourments que viennent d'endurer les Français depuis 1792 ne les ont pas saturés et qu'à l'inverse bon nombre d'entre eux trouvent le moyen de s'entretuer encore. En 1802, Lapanouse, un ancien capitaine de dragons, livre des souvenirs de son expédition en Egypte. Le décès d'un jeune homme, le spectacle du corps sans vie, pourtant commun à la vie de garnison, lui décille subitement les yeux et l'oblige à avouer son désarroi.Ecoeuré - le mot n'est pas trop fort - par tant de violence gratuite, l'auteur reconnaît sa détresse et pose à nouveau, à sa façon, le pourquoi du silence désormais coupable de la loi. [...]
- "C'est là que je fus à portée d'observer tout ce qu la manie du duel avait d'effroyable : ce fléau faisait presqu'autant de ravages dans l'armée, que la contagion, les ardeurs du climat, la réverbération des sables et, ce qu'il y a de plus étonnant, pendant qu'on ne tarissait point de plaintes contre la mère patrie, de ce qu'elle ne tentait pas l'impossible pour secourir le petit nombre de braves, en butte à des ennemis innombrables, tous les jours, on prodiguait, sur le plus frivole prétexte, le sang français en des combats singuliers"
La "brutalisation" de cette société militaire qui a tant d'influence sur la société française en son entier agit déjà, en ce début de Consulat, et le pire est à venir avec l'Empire. Les tacticiens de la Révolution, en développant les idées de guerre totale, déjà à l'oeuvre avant 1789, et éprouvée surtout sous le Directoire, ont aussi contribué à rendre secondaire la violence de l'affrontement d'homme à homme. Le duel n'a-t-il pas également perduré dans les armées impériales, parce qu'il proposait une alternative à la violence aveugle du nouveau combat ? ... L'assaut au sabre, par la maîtrise qu'il exigeait et le contrôle de la mort infligée ou évitée, ne s'opposait-il pas, point par point, à la nouvelle bataille, là où les soldats se trouvaient confrontés à la puissance d'un feu anonyme, de plus en plus destructeur, infligeant des blessures, des plus horribles à endurer physiquement et des plus traumatisantes à supporter mentalement ?...