L'Abdication
- Joker
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L'Abdication
Napoléon reste seul contre le monde entier. Il a cent cinquante mille hommes à peine à opposer à ces masses immenses. Mais il a retrouvé, sinon la confiance, du moins le génie de ses jeunes années : la campagne de 1814 sera son chef-d'oeuvre stratégique.
D'un coup d'oeil, il a tout vu, tout embrassé, et, autant qu'il est au pouvoir d'un homme, il a paré à tout.
Maison est chargé d'arrêter Bernadotte en Belgique ; Augereau marchera au-devant des Autrichiens à Lyon ; Soult maintiendra les Anglais derrrière la Loire ; Eugène défendra l'Italie ; pour lui, il se chargera de Blücher et de Schwartzenberg.
Il se jette entre eux avec soixante mille hommes, court d'une armée à l'autre, écrase Blücher à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry, et à Montereau. En dix jours, Napoléon a remporté cinq victoires, et les alliés ont perdu quatre-vingt-dix mille hommes.
Alors, de nouvelles négociations se renouent à Châtillon-sur-Seine : mais les souverains alliés, de plus en plus exigeants, proposent des conditions inacceptables. Ce n'était plus seulement les conquêtes de Napoléon qu'il s'agissait d'abandonner, c'étaient les limites de la République qu'il fallait échanger contre celles de la vieille monarchie.
Napoléon répondit par un de ces élans de lion qui lui étaient si familiers. Il bondit de Méry-sur-Seine à Craonne, de Craonne à Reims, et de Reims à Saint-Dizier. Partout où il rencontre l'ennemi, il le chasse, le culbute, l'écrase. Mais, derrière lui, cet ennemi se reforme, et, toujours vaincu, avance toujours.
C'est que partout où Napoléon n'est pas, sa fortune est absente.
Les Anglais sont entrés à Bordeaux ; les Autrichiens occupent Lyon ; l'armée de Belgique, réunie aux débris de l'armée de Blücher, reparaît sur ses derrières. Ses généraux sont mous, paresseux, fatigués. Chamarrés de cordons, écrasés de titres, gorgés d'or, ils ne veulent plus se battre.
Trois fois les Prussiens, qu'il croit tenir à sa merci, lui échappent : la première fois, sur la rive gauche de la Marne, par une gelée subite qui raffermit les boues au milieu desquelles ils devaient périr ; la seconde fois, sur l'Aisne, par la reddition de Soissons, qui leur ouvre un passage en avant au moment où ils ne peuvent plus reculer en arrière ; enfin, à Craonne, par la négligence du duc de Raguse, qui se laisse enlever une partie de son matériel par une surprise de nuit.
Tous ces présages n'échappent point à Napoléon, qui sent que, malgré ses efforts, la France lui échappe des mains. Sans espoir d'y conserver un trône, il veut au moins y obtenir une tombe, et fait, mais inutilement, tout ce qu'il peut pour se faire tuer, à Arcis-sur-Aube et à Saint-Dizier. Il a fait un pacte avec les boulets et les balles.
Le 29 mars, il reçoit à Troyes, où il a poursuivi Wintzingerode, la nouvelle que les Prussiens et les Russes marchent en colonnes serrées sur Paris.
Il part aussitôt, arrive le 1er avril à Fontainebleau, et apprend que Marmont a capitulé la veille, à cinq heures du soir, et que, depuis le matin, les alliés occupent la capitale.
Trois partis lui restaient à prendre.
Il avait encore à ses ordres cinquante mille soldats, les plus braves et les plus dévoués de l'univers. Il ne s'agissait, pour être sûr d'eux, que de remplacer les vieux généraux, qui avaient tout à perdre, par les jeunes colonels, qui avaient tout à gagner : à sa voix encore puissante, la population pouvait s'insurger, mais alors, Paris était sacrifié ; les alliés le brûlaient en se retirant ; et il n'y a qu'un peuple comme les Russes que l'on puisse sauver par un pareil remède.
Le second était de gagner l'Italie, en ralliant les vingt-cinq mille hommes d'Augereau, les dix-huit mille du général Grenier, les quinze mille du maréchal Suchet, et les quarante mille du maréchal Soult. Mais ce parti n'amenait aucun résultat : la France restait occupée par l'ennemi, et les plus grands malheurs pouvaient résulter pour elle de cette occupation.
Restait le troisième, qui était de se retirer derrière la Loire, et de faire la guerre de partisans.
Les alliés vinrent fixer ses irrésolutions, en déclarant que l'Empereur Napoléon était le seul obstacle à la paix générale.
Cette déclaration ne lui laissait plus que deux ressources : sortir de la vie à la manière d'Annibal ; descendre du trône à la manière de Sylla.
Il tenta, dit-on, la première : le poison de Cabanis fut impuissant.
Alors, il se décida à recourir à la seconde ; et, sur un chiffon de papier, aujourd'hui perdu, il écrivit ces lignes, les plus importantes peut-être qu'une main mortelle aient jamais tracées :
"Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissemnt de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses héritiers au trône de France et d'Italie, parce qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à la France."
Pendant un an, le monde sembla vide.
Alexandre Dumas, "Napoléon", 1839.
D'un coup d'oeil, il a tout vu, tout embrassé, et, autant qu'il est au pouvoir d'un homme, il a paré à tout.
Maison est chargé d'arrêter Bernadotte en Belgique ; Augereau marchera au-devant des Autrichiens à Lyon ; Soult maintiendra les Anglais derrrière la Loire ; Eugène défendra l'Italie ; pour lui, il se chargera de Blücher et de Schwartzenberg.
Il se jette entre eux avec soixante mille hommes, court d'une armée à l'autre, écrase Blücher à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry, et à Montereau. En dix jours, Napoléon a remporté cinq victoires, et les alliés ont perdu quatre-vingt-dix mille hommes.
Alors, de nouvelles négociations se renouent à Châtillon-sur-Seine : mais les souverains alliés, de plus en plus exigeants, proposent des conditions inacceptables. Ce n'était plus seulement les conquêtes de Napoléon qu'il s'agissait d'abandonner, c'étaient les limites de la République qu'il fallait échanger contre celles de la vieille monarchie.
Napoléon répondit par un de ces élans de lion qui lui étaient si familiers. Il bondit de Méry-sur-Seine à Craonne, de Craonne à Reims, et de Reims à Saint-Dizier. Partout où il rencontre l'ennemi, il le chasse, le culbute, l'écrase. Mais, derrière lui, cet ennemi se reforme, et, toujours vaincu, avance toujours.
C'est que partout où Napoléon n'est pas, sa fortune est absente.
Les Anglais sont entrés à Bordeaux ; les Autrichiens occupent Lyon ; l'armée de Belgique, réunie aux débris de l'armée de Blücher, reparaît sur ses derrières. Ses généraux sont mous, paresseux, fatigués. Chamarrés de cordons, écrasés de titres, gorgés d'or, ils ne veulent plus se battre.
Trois fois les Prussiens, qu'il croit tenir à sa merci, lui échappent : la première fois, sur la rive gauche de la Marne, par une gelée subite qui raffermit les boues au milieu desquelles ils devaient périr ; la seconde fois, sur l'Aisne, par la reddition de Soissons, qui leur ouvre un passage en avant au moment où ils ne peuvent plus reculer en arrière ; enfin, à Craonne, par la négligence du duc de Raguse, qui se laisse enlever une partie de son matériel par une surprise de nuit.
Tous ces présages n'échappent point à Napoléon, qui sent que, malgré ses efforts, la France lui échappe des mains. Sans espoir d'y conserver un trône, il veut au moins y obtenir une tombe, et fait, mais inutilement, tout ce qu'il peut pour se faire tuer, à Arcis-sur-Aube et à Saint-Dizier. Il a fait un pacte avec les boulets et les balles.
Le 29 mars, il reçoit à Troyes, où il a poursuivi Wintzingerode, la nouvelle que les Prussiens et les Russes marchent en colonnes serrées sur Paris.
Il part aussitôt, arrive le 1er avril à Fontainebleau, et apprend que Marmont a capitulé la veille, à cinq heures du soir, et que, depuis le matin, les alliés occupent la capitale.
Trois partis lui restaient à prendre.
Il avait encore à ses ordres cinquante mille soldats, les plus braves et les plus dévoués de l'univers. Il ne s'agissait, pour être sûr d'eux, que de remplacer les vieux généraux, qui avaient tout à perdre, par les jeunes colonels, qui avaient tout à gagner : à sa voix encore puissante, la population pouvait s'insurger, mais alors, Paris était sacrifié ; les alliés le brûlaient en se retirant ; et il n'y a qu'un peuple comme les Russes que l'on puisse sauver par un pareil remède.
Le second était de gagner l'Italie, en ralliant les vingt-cinq mille hommes d'Augereau, les dix-huit mille du général Grenier, les quinze mille du maréchal Suchet, et les quarante mille du maréchal Soult. Mais ce parti n'amenait aucun résultat : la France restait occupée par l'ennemi, et les plus grands malheurs pouvaient résulter pour elle de cette occupation.
Restait le troisième, qui était de se retirer derrière la Loire, et de faire la guerre de partisans.
Les alliés vinrent fixer ses irrésolutions, en déclarant que l'Empereur Napoléon était le seul obstacle à la paix générale.
Cette déclaration ne lui laissait plus que deux ressources : sortir de la vie à la manière d'Annibal ; descendre du trône à la manière de Sylla.
Il tenta, dit-on, la première : le poison de Cabanis fut impuissant.
Alors, il se décida à recourir à la seconde ; et, sur un chiffon de papier, aujourd'hui perdu, il écrivit ces lignes, les plus importantes peut-être qu'une main mortelle aient jamais tracées :
"Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissemnt de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses héritiers au trône de France et d'Italie, parce qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à la France."
Pendant un an, le monde sembla vide.
Alexandre Dumas, "Napoléon", 1839.
Modifié en dernier par Joker le 25 avr. 2006 23:46, modifié 2 fois.
"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir" (Anonyme)
- CC
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Merci, Joker, pour ce beau texte! 
Que devait-il se passer dans la tête de Napoléon qui voyait tout lui filer entre les doigts; son Empire qui disparaissait, ses alliés qui lui tournaient le dos l'un après l'autre, personne qui ne semblait vouloir se battre comme lui.
Il s'est défendu comme un diable, il a fait des exploits mais il était trop tard, le navire prenait eau de toutes parts.
C'était évidemment une sortie glorieuse, que celle de mourir au combat, emporté par une balle ou un boulet.
Il n'a pas eu cette "chance".
En fait, il n'était pas encore arrivé au bout de sa route, tout simplement.

Que devait-il se passer dans la tête de Napoléon qui voyait tout lui filer entre les doigts; son Empire qui disparaissait, ses alliés qui lui tournaient le dos l'un après l'autre, personne qui ne semblait vouloir se battre comme lui.
Il s'est défendu comme un diable, il a fait des exploits mais il était trop tard, le navire prenait eau de toutes parts.
C'était évidemment une sortie glorieuse, que celle de mourir au combat, emporté par une balle ou un boulet.
Il n'a pas eu cette "chance".
En fait, il n'était pas encore arrivé au bout de sa route, tout simplement.
- Joker
- Bouffon impérial
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Merci pour le compliment, mais tout le mérite en revient à Alexandre Dumas !
Cette campagne de France est effectivement l'un des moments-clés de l'épopée.
Elle est admirable car désespérée, comme le sont les plus beaux chants.
Napoléon se démultiplie, rivalise d'audace, réalise des prouesses, mais il ne peut rien contre le nombre de ses ennemis et la démotivation de ses subordonnés.
Il voit son Empire s'écrouler en quelques semaines et cherche une fin digne de sa légende.
La mort se refusant à lui, il se résout à vivre pour écrire les grandes choses qu'il a accomplies avec ses troupes.
Combien il a dû lui en coûter de signer son abdication face à ceux qu'il avait comblé de tant d'honneurs !
On dit que l'homme se révèle à nu dans l'adversité.
Personnellement, c'est en ces moments-là que j'ai le plus d'admiration pour sa personne.
Au-delà de l'Empereur pointe l'être humain dans toute sa fragilité.
Et incontestablement l'homme Napoléon est digne d'éloges...

Cette campagne de France est effectivement l'un des moments-clés de l'épopée.
Elle est admirable car désespérée, comme le sont les plus beaux chants.
Napoléon se démultiplie, rivalise d'audace, réalise des prouesses, mais il ne peut rien contre le nombre de ses ennemis et la démotivation de ses subordonnés.
Il voit son Empire s'écrouler en quelques semaines et cherche une fin digne de sa légende.
La mort se refusant à lui, il se résout à vivre pour écrire les grandes choses qu'il a accomplies avec ses troupes.
Combien il a dû lui en coûter de signer son abdication face à ceux qu'il avait comblé de tant d'honneurs !
On dit que l'homme se révèle à nu dans l'adversité.
Personnellement, c'est en ces moments-là que j'ai le plus d'admiration pour sa personne.
Au-delà de l'Empereur pointe l'être humain dans toute sa fragilité.
Et incontestablement l'homme Napoléon est digne d'éloges...

"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir" (Anonyme)
- Frédéric Staps
- Réfractaire impénitent
- Messages : 5025
- Enregistré le : 26 avr. 2006 12:17
Qu'a-t-il écrit à l'île d'Elbe ? N'est-ce pas un peu mélanger les choses que de dire qu'en 1814, il se résigne à vivre pour écrire son histoire ? Ne lui a-t-il pas fallu justement la terrible défaite de Waterloo où il ne s'est pas montré à la hauteur de sa réputation pour qu'il prenne conscience que ce serait désormais avec les mots et non plus avec les armes qu'il pourrait gagner sa dernière bataille ?Joker a écrit :il se résout à vivre pour écrire les grandes choses qu'il a accomplies avec ses troupes.
- Joker
- Bouffon impérial
- Messages : 1347
- Enregistré le : 20 avr. 2006 23:17
- Localisation : Bruxelles - Belgique
Je n'ai pas le sentiment de mélanger quoi que ce soit, mon cher Desmaret !
Si je reprends les termes de l'allocution prononcée le 20 avril 1814 par Napoléon dans la cour du château de Fontainebleau lors de la scène des Adieux, voici ce que j'y trouve :
"... Quant à moi, ne me plaignez pas. Il me reste une mission, et c'est pour la remplir que je consens à vivre, c'est de raconter pour la postérité les grandes choses que nous avons faites ensemble... "
C'est en référence à cette phrase que j'ai rédigé mon message.
Son intention de rédiger ses Mémoires était donc bien arrêtée dès ce moment.

Si je reprends les termes de l'allocution prononcée le 20 avril 1814 par Napoléon dans la cour du château de Fontainebleau lors de la scène des Adieux, voici ce que j'y trouve :
"... Quant à moi, ne me plaignez pas. Il me reste une mission, et c'est pour la remplir que je consens à vivre, c'est de raconter pour la postérité les grandes choses que nous avons faites ensemble... "
C'est en référence à cette phrase que j'ai rédigé mon message.
Son intention de rédiger ses Mémoires était donc bien arrêtée dès ce moment.

"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir" (Anonyme)
- Frédéric Staps
- Réfractaire impénitent
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- Enregistré le : 26 avr. 2006 12:17
- Joker
- Bouffon impérial
- Messages : 1347
- Enregistré le : 20 avr. 2006 23:17
- Localisation : Bruxelles - Belgique
Sur ce point précis, il semble que la réponse soit négative et que les seuls écrits impériaux de cette époque soient les édits pris en vue de l'administration de l'île d'Elbe.
Mais je vous promets bien de le vérifier consciencieusement en me replongeant dans les documents relatifs à cette période...
Mais je vous promets bien de le vérifier consciencieusement en me replongeant dans les documents relatifs à cette période...

"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir" (Anonyme)
- Joker
- Bouffon impérial
- Messages : 1347
- Enregistré le : 20 avr. 2006 23:17
- Localisation : Bruxelles - Belgique
Je possède une photo de la salle où fut signé l'acte d'abdication.
Je l'ai prise lors de ma visite du château de Fontainebleau en janvier dernier.
Malheureusement, je ne possède pas des moyens techniques pour la publier sur ce forum.
Aussi, je tiens le cliché à votre disposition si vous le souhaitez.
Je l'ai prise lors de ma visite du château de Fontainebleau en janvier dernier.
Malheureusement, je ne possède pas des moyens techniques pour la publier sur ce forum.

Aussi, je tiens le cliché à votre disposition si vous le souhaitez.

"Les erreurs du passé sont les faiblesses de l'avenir" (Anonyme)
je pense que depuis son accesion au pouvoir ,l'empereur a "commencé " a ecrire son histoire(je pense aux buletins de la grande armée),et dire qu'il y a une date precise pour l'ecriture des ces memoires ,je ne pense pas vraiment,il a peut etre decider de "classer tt cela",enfin de compte il n'avait qu'a reprendre tt les recits de ces campagnes (pour le cote militaire) .
j'ai lu a plusieurs reprise qu'il avait "commencer a dicter ses memoires" pdt la traversée pour st helene.
tspf
j'ai lu a plusieurs reprise qu'il avait "commencer a dicter ses memoires" pdt la traversée pour st helene.
tspf