Séraphin Lampion a écrit :OK... mais lorsque Bonaparte rentre d'Egypte en France, auréolé de ses victoires, et prépare le 18 Brumaire... Personne ne songera sans doute à lui appliquer ce décret concernant Jaffa
Non, d'autant plus que c'était la version officielle, celle de Bonaparte, qui était connue.
En effet, le 11 octobre 1799, le Moniteur entama la publication du rapport que Berthier avait adressé le 29 juillet précédent au ministre de la Guerre. Dans le numéro du 14, on put lire cette description de l’assaut de Jaffa :
« Nos braves se précipitent à la brèche; ils la gravissent malgré quelques feux de flanc que nous n'avions pu éteindre. Ils se logent dans la tour carrée, et la couronnent. L'ennemi fait des efforts pour attaquer et repousser nos troupes qui se trouvent soutenues par la division Lanusse et par notre artillerie qui mitraillait la ville, en suivant les progrès que faisaient nos soldats ; ils gagnent de toit en toit, de rue en rue ; bientôt ils ont couronné et pris le fort; ils sont sur le port ; la terreur s'empare de la garnison [« composée de 1200 canonniers turcs , et d'environ 2500 Maugrabins ou Arnautes, et quelques égyptiens »]; la plus grande partie est passée au fil de l’épée; environ 300 Egyptiens échappés à l'assaut sont renvoyés en Egypte et rendus à leurs familles. »
Ce rapport fut ensuite publié la même année dans l’ouvrage titré « Relations de l'expédition de Syrie, de la bataille d'Aboukir et de la reprise du fort de ce nom. »
L'année suivante, Berthier, dans la droite ligne de son rapport de l’été 1799, publia une « Relation des campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie » :
« Le 16 [ventôse, 6 mars], à la pointe du jour, on commence à canonner la place. La brèche est jugée praticable à quatre heures du soir; l’assaut est ordonné. Les carabiniers de la vingt-deuxième demi-brigade d’infanterie légère s’élancent à la brèche […] L’ennemi fait à plusieurs reprises les plus grands efforts pour repousser la vingt-deuxième demi-brigade; mais elle est soutenue par la division Lannes, et par l’artillerie des batteries, qui mitraille l’ennemi dans la ville, en suivant les progrès des assiégeants.
La division Lannes gagne de toit en toit, de rue en rue ; bientôt elle a escaladé et pris les deux forts. L’aide de camp Duroc se distingue par son intrépidité.
La division Bon, qui avait été chargée des fausses attaques, pénètre dans la ville; elle est sur le port. La garnison poursuivie se défend avec acharnement, et refuse de poser les armes; elle est passée au fil de l’épée. Elle était composée de douze cents canonniers turcs, et de deux mille cinq cents Maugrabins ou Arnautes. Trois cents Egyptiens, qui s’étaient rendus, sont renvoyés au sein de leurs familles. »
Dans le même temps, paraissait l’ouvrage intitulé « Pièces diverses relatives aux opérations militaires et politiques du général Bonaparte »
On pouvait y lire cette proclamation du Diwan du Caire :
« [Bonaparte] fut ensuite sur Jaffa, et en fit le siège pendant trois jours; s'en étant emparé, il prit tous les approvisionnements qui s'y trouvaient faits par Djezzâr. Les habitants égarés n'ayant pas voulu se soumettre et le reconnaître, ayant refusé sa protection , il les livra , dans sa colère et par la force qui le dirige, au pillage et à la mort ; il en est péri aux environs de cinq mille. Il a détruit leurs remparts, et fait piller tout ce qui s'y trouvait : c'est l'ouvrage de Dieu qui dit aux choses d'être, et elles sont. Il a épargné les Egyptiens qui s'y sont trouvés, les a honorés, nourris et vêtus; il les a fait embarquer sur des bâtiments pour les reconduire dans leur patrie, les a fait escorter, crainte que les Arabes ne leur nuisissent, et les a comblés de biens. Il se trouvait à Jaffa environ cinq mille hommes des troupes de Djezzâr ; il les a tous détruits : bien peu se sont sauvés par la fuite. »
Dans ce même ouvrage était également retranscrite la lettre rédigée par Bonaparte au Directoire exécutif, le 13 mars, cinq jours après le massacre des prisonniers de guerre de Jaffa (à noter que cette missive avait déjà été publiée l’année précédente, au Caire, dans le petit ouvrage « Expédition de Syrie jusqu'à la prise de Jaffa ») :
« A la pointe du jour, le 17 [ventôse, 7 mars], je fis sommer le gouverneur ; il fit couper la tête à mon envoyé et ne répondit point. A sept heures le feu commença ; à une heure je jugeai la brèche praticable. Le général Lannes fit les dispositions pour l'assaut ; l'adjoint aux adjudants généraux Netherwood, avec dix carabiniers, y monta le premier et fut suivi de trois compagnies de grenadiers de la treizième et de la soixante-neuvième demi-brigade, commandées par l'adjudant général Rambeaud, pour lequel je vous demande le grade de général de brigade.
A cinq heures nous étions maîtres de la ville, qui, pendant vingt-quatre heures, fut livrée au pillage et à toutes les horreurs de la guerre, qui jamais ne m'a paru si hideuse.
Quatre mille hommes des troupes de Djezzar ont été passés au fil de l'épée ; il y avait huit cents canonniers. Une partie des habitants a été massacrée.
[…]
J'ai été clément envers les Egyptiens, autant que je l'ai été envers le peuple de Jaffa, mais sévère envers la garnison qui s'est laissé prendre les armes à la main. »
Cette lettre parut également, fin juin 1801, dans « Pièces diverses et correspondance relatives aux opérations de l'armée d’Orient en Egypte » ; ouvrage imprimé à l’initiative du Tribunat, qui, le 28 décembre précédent, en avait arrêté l’impression.
Ainsi, au début du Consulat, la version officielle était : Jaffa avait été prise d’assaut et la garnison ennemie, après avoir refusé de se soumettre, passée (dans des circonstances plutôt nébuleuses) par le fil de l’épée.
Aussi terrible soit ce genre de récit, un tel dénouement s’inscrivait cependant à l’époque dans le cadre de ce que l’on nommait les lois de la guerre ; pas de quoi imaginer un procès.
Les révélations sur le massacre des prisonniers de guerre vinrent ensuite.
Séraphin Lampion a écrit :Certes, mais monsieur Peyrusse s'exprimait à titre personnel, son souhait n'avait pas force de loi
En effet, mais la loi, Peyrusse devait peut-être la connaître, et savait bien que la version officielle ramenée d'Egypte ne correspondait pas vraiment avec la réalité des faits.
" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)