la remonte a écrit : ↑Mer 19 Jan 2022 22:26
Faut regarder sur YouTube la conférence de de Jacques Berchtold sur l’entrevue de Napoléon et Goethe
J'ai écouté la conférence de Jacques Berchtold et je dois avouer que l'emploi du terme "antinationaliste" ne m'a guère convaincu.
Si on peut effectivement constater que Goethe n'a pas adhéré au rejet de l'expansion française au nom de la nation allemande comme son ami Herder, il est nettement moins évident de qualifier Napoléon d'antinationaliste, à moins de considérer que le fait de maintenir la division en Italie et en Allemagne comme il l'a fait soit l'attitude d'un antinationaliste. Mais une telle considération serait un non-sens, car on ne peut considérer que quelqu'un est antinationaliste que s'il a cette attitude à l'égard de sa propre nation et non pas à l'égard des autres nations dont il entraverait l'unification. A ce compte-là, le véritable antinationaliste serait l'empereur d'Autriche auquel tant les Italiens que les Allemands ont fait la guerre pour parvenir à l'unification nationale.
Napoléon peut d'autant moins être qualifié d'antinationaliste que quand il a établi les membres de sa famille sur divers trônes en Italie, en Hollande ou en Allemagne, il attendait d'eux qu'ils fassent passer en priorité les intérêts de la France par rapport aux intérêts des royaumes qu'il leur avait confiés.
Etonnamment, Jacques Berchtold conclut que la rencontre entre Goethe et Napoléon a eu beaucoup d'importance, alors qu'en réalité, elle n'a eu aucune suite concrète. Il partage ainsi la même illusion que Paul Valéry et la SDN en 1932 qui avaient cru possible d'empêcher la montée du nationalisme allemand et le déclenchement d'une guerre en donnant des conférences en France et en Allemagne en présence du président Hindenburg.
Jacques Berchtold se fait également des illusions quand il parle d'admiration en miroir entre les deux hommes.
S'il est manifeste que Goethe est en admiration devant Napoléon, la réciproque est moins certaine. L'attitude de Napoléon apparaît davantage comme une entreprise de séduction du grand auteur que comme une "admiration en miroir". On peut en effet difficilement l'explication selon laquelle Napoléon n'aurait pas lu d'autres oeuvres de Goethe que Werther parce qu'une fois arrivé au pouvoir, il n'aurait plus eu assez de temps à consacrer à la lecture. L'anecdote de Napoléon jetant les livres par la fenêtre de sa voiture quand il avait terminé de les lire apporte un clair démenti à cette idée qu'une fois devenu homme d'action, Napoléon aurait cessé de lire. En revanche, il est fort possible qu'il ait cessé de lire des romans, ce qui jette quelques doutes sur la sincérité de l'affirmation selon laquelle il considérerait Goethe comme son alter ego du point de vue intellectuel. S'il avait autant d'admiration pour Goethe que ce qu'il avait dit lors de leur rencontre, il se serait donné la peine de déroger à ses habitudes pour lire les oeuvres de celui pour lequel il aurait eu autant d'admiration.
Le dépit de Goethe quand il a constaté que Napoléon n'avait pas lu ses livres postérieurs au Werther n'a pas été suffisant pour ne pas se laisser séduire par celui pour lequel il se faisait déjà beaucoup d'illusions en voyant en lui le tremblement de terre nécessaire pour faire progresser la civilisation et apporter la paix au monde. Ce n'est que quelques années plus tard, après la chute de Napoléon, qu'il retrouvera un peu de clairvoyance en faisant le rapprochement entre Napoléon et Tamerlan, ce conquérant incapable de mettre un terme à ses conquêtes, plutôt qu'avec un César civilisateur comme le souhaitait Napoléon.
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? »